Un texte de Mylène Lachance-Paquin
À travers l’Histoire, notamment l’histoire de l’art, les femmes ont été « invisiblées ». En effet, durant des siècles, ces dernières ont été tenues à l’extérieur du circuit de la critique, alors que leurs pratiques étaient associées aux arts dits mineurs. De surcroît, il a fallu attendre le XIXe siècle avant que les premières artistes femmes puissent être admises dans les écoles de beaux-arts. Ainsi, « exclusive et fragmentaire », l’histoire de l’art s’est vue être écrite majoritairement par des hommes (blancs). Puisque tout ce qui est habituel semble naturel, ces éléments historiques récurrents laissent des traces dans le milieu actuel des arts visuels. Toutefois, certaines pistes permettant un rééquilibrage, notamment par rapport à la valeur des œuvres des artistes femmes, ont été mises en lumière.
Avant de nous y plonger, mentionnons qu’un chemin important a été parcouru durant le siècle dernier et que les femmes sont actuellement plus nombreuses que leurs compairs masculins à étudier dans les domaines tels la muséologie, l’histoire de l’art et les arts visuels. Toutefois, une fois les études terminées, la pyramide s’inverse ; signe que rien n’est encore réglé. Par exemple, dans la sphère muséale, nous constatons que l’entièreté des institutions muséales nationales sont actuellement dirigées par des hommes (blancs) et que les collections de ces musées sont composées d’environ 13 % d’œuvres d’artistes femmes.
Portons maintenant notre regard sur le marché de l’art afin de comprendre comment évolue la place des femmes artistes dans cette sphère hautement interreliée à l’évolution de la condition féminine dans la sphère sociétale globale. Pour ce faire, nous pouvons nous intéresser à une étude réalisée par l’Université d’Oxford et Erasmus de Rotterdam, qui a compilé 1,9 million d’œuvres d’art ayant été vendues aux enchères ces 45 dernières années dans 50 pays. Selon les résultats obtenus dans cette vaste étude, il apparaît que les œuvres d’artistes femmes se vendent 42 % moins cher que celles des artistes hommes. Si, toutefois, nous excluons de ces données les œuvres très prisées et dont la rareté, associée au statut de canon, fait drastiquement augmenter la valeur, la différence redescend à 19 % (ce qui demeure un écart considérable).
Diverses expérimentations ont été réalisées pour tenter d’expliquer la différence de valeur attribuée à des œuvres d’artistes hommes et femmes. Par exemple, il a été demandé à des patrticipant·e·s de deviner l’identité de genre des artistes ayant réalisé certaines œuvres. Dans environ 50 % des cas (l’équivalent du hasard), les personnes réussissaient à deviner correctement l’identité de genre de la personne ayant réalisé l’œuvre qui leur était présentée.
S’en suivirent d’autres expérimentations qui, finalement, ont permis à l’équipe de recherche de conclure que le fait que les œuvres d’artistes hommes valent plus cher que celles des femmes consiste en un construit social lié au fait que nous imaginons l’homme artiste comme plus garant d’un travail sérieux et d’un succès spéculatif.
Plusieurs éléments orbitant autour d’un même axe constituent une piste favorisant un rééquilibrage de la valeur des œuvres des artistes femmes et hommes. En effet, il est remarqué que dans les pays où une plus grande place aux femmes est faite dans l’espace public, l’écart entre leur travail et celui des artistes hommes s’amoindrit considérablement. De surcroît, les chercheur·se·s ont mentionné que, depuis les années 1970, les artistes femmes ont enregistré un meilleur rendement que leurs collègues masculins. En effet, selon l'indice Mei Moses de Sotheby's, le prix des œuvres de femmes a augmenté de 73 % entre 2012 et 2018, alors que du côté des artistes hommes, une augmentation de seulement 8 % a été notée. C’est pourquoi l’équipe de recherche d’Oxford et d’Erasmus a conclu que « les collectionneurs devraient mettre de côté leurs préjugés. Au fur et à mesure que le chauvisme du monde de l’art diminue, la femme devient un meilleur investissement que l’homme ».
Mylène Lachance-Paquin est fondatrice-directrice de POST-INVISIBLES et d’OGIVE — Art | Égalité | Éducation. Diplômée d’une maîtrise en muséologie, elle est également commissaire indépendante, rédactrice et présidente de Louise art en entreprises.
Les commentaires seront approuvés avant leur publication.